À quelles conditions est-il possible aujourd’hui d’exploiter un bateau à cabines ?

Après avoir été transporteurs fluviaux de 1976 à 1978, Sylvete et Pierre Gaudry ont accueilli des groupes d’enfants pendant des années sur le canal du Midi et le canal de Garonne. Depuis 2013, ils louent le bateau Haricot noir en gîte navigant. En 2021, ils ont passé le macaron de leur entreprise et de leur bateau à leur fille, Maurine Gaudry. En toute connaissance de cause et sans se cacher les difficultés, qui sont nombreuses, nous explique P. Gaudry.

Dans les années 1980, sur le canal du Midi et le canal Latéral à la Garonne, nous étions une quinzaine de péniches transformées avec une clientèle principalement hexagonale. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que quatre, plus une dizaine de bateaux qui offrent des prestations haut de gamme. Exploiter un bateau à cabines, c’est se confronter à 3 difficultés principales. La première est que, à moins de vivre en famille sur le bateau, on est loin de chez soi pendant 6 mois de l’année. À terme, ma fille travaillera sans doute avec un équipage, des gens du coin qui peuvent rentrer chez eux le week-end, et elle restera à terre pour avoir une vie de famille. La 2e difficulté est liée à notre outil de travail qui est double : le bateau et les voies navigables. Sur le canal du Midi, nous sommes limités à un gabarit de 30 m et un tirant d’air peu important. Or les péniches-hôtels qui s’en sortent le mieux sont les 38 m ou les bateaux à 2 étages, qui ont une capacité plus grande avec des charges quasiment similaires. Le renouvellement perpétuel des normes nous oblige à investir continuellement sur le bateau. Enfin, on oublie trop souvent qu’un bateau, c’est des heures de main-d’œuvre. Sans huile de coude, cela ne peut pas marcher.

Côté infrastructures, tous les ports conçus pour des bateaux lourds comme le nôtre sont devenus des ports de plaisance, et depuis le chancre coloré il n’est plus possible de s’amarrer aux platanes. Nous sommes dépendants des amarrages que l’on veut bien mettre à notre disposition, qui sont hors des villages et un coup sur deux au milieu de la broussaille, sans chemin d’accès. La 3e difficulté vient de notre souhait de rester accessibles à la clientèle française. Les redevances multiples pour les ports, la navigation, l’hivernage ne nous y aident pas. Elles sont calculées sur l’emprise du bateau sur le Domaine public fluvial (D.P.F.), c’est-à-dire sur des critères immobiliers. Proportionnellement, la part de redevance dans le prix payé par un client américain sera 10 fois moins importante que pour l’un de nos clients (notre prix est de 100 € par jour et par personne, soit près de 10 fois moins qu’une péniche-hôtel de luxe). Je comprends la nécessité pour Voies navigables de France d’équilibrer ses comptes, mais pourquoi ne pas calculer une part de nos redevances sur notre activité plutôt que sur la surface incompressible de nos bateaux ? Et pourquoi les pratiquants de sports nautiques, les promeneurs, les cyclistes, les communes riveraines qui profitent aussi de ce domaine public ne paient pas de redevance ? Pourquoi ne faire payer que les usagers navigants?

Propos recueillis par Virginie Brancotte